jeudi 14 février 2019

Cacabements


Je jette un regard désolé sur le rôti de pintade farci que m’a préparé le vendeur du volailler.
Quand j’étends ce long bébé mollasson à la peau grumeleuse (je précise que je décris ma pièce de viande et qu’il ne s’agit pas du vendeur - quoi que…), je me mets à désespérer. La farce de chair et de foies de volaille dont une partie commence à s’échapper d’un interstice mal ficelé me fait craindre par son manque de gras et son hachage très fin d'obtenir une texture desséchée après cuisson. Par endroits subsistent sur la peau quelques duvets et coûtons que je m’empresse de neutraliser au lance-flammes chalumeau.
Bref je suis hautement inquiet du résultat final. D’ailleurs même l’auteur ne croyait pas en son œuvre : « Faîtes attention en découpant les tranches, il n’y a pas de barde, alors ça risque de s’écrouler ! »
C'est dire !

Mais tout comme quand le vin est tiré il faut le boire, quand la pintade est ficelée il faut la cuire.

Je prépare une garniture aromatique - carotte, céleri, et oignons taillés en grosse brunoise — que j’étends sur le fond d’un plat en fonte beurré. J’ajoute une gousse d’ail, une feuille de laurier, quelques cassures de poivre long et une pincée de poivre de Voatsiperifery. Puis je couche mon gros bébé mollasson que j’ai assaisonné d’une cuillerée de sel fin et d’une pincée de quatre-épices.
Je parsème de noisettes de beurre, je verse un verre d’eau au fond du plat en arme anti-dessiccation.
J’enfourne pour une heure et demie à 160 °C.
Je renouvellerai régulièrement le verre d’eau afin de maintenir l’humidité.


Il me faut passer à la préparation de la garniture.

 En premier lieu, des gnocchis.

Je reprends grosso modo les proportions qui m’avaient jadis donné satisfaction.

http://sosgrisbiche.blogspot.com/2018/03/mon-lapin.html

Cette fois-ci ce seront 240 g de farine T55 et 2 jaunes d’œuf pour 800 g de purée de pomme de terre.

Je façonne sur une planchette, procède à la cuisson.
Je réserve.

gnocchi
Passés sur la planche




En second lieu, des champignons. Je nettoie à la brosse et au chiffon humide des pieds-de-mouton et des lentins du chêne dont je partage en deux les plus gros. Pour les chanterelles, il me suffit de les débarrasser d’une partie de leurs queues.
Je fais tomber tout ce petit monde sur un trait d’huile d’olive et une noisette de beurre. Quand les champignons ont perdu leur eau, je les noie sous 25 cl de crème liquide. Je sale, parsème d’une petite cuillerée de cinq-épices dont la note anisée devrait bien fonctionner et je laisse réduire à feu moyen.
Je réserve.


pieds-de-mouton, lentins du chêne, chanterelles
Trilogie de champignons


La cuisson du rôti de pintade est achevée. Heureuse surprise, la pièce ne s’est pas écroulée lamentablement, la fuite de farce est restée modeste. Mais surtout la peau est devenue craquante à souhait.
Toutefois c’est encore avec inquiétude que je dépose le bébé plus du tout mollasson sur une planche et m’apprête à le découper. Je sors même mon couteau le plus performant - un japonais acéré. Aligatô ! Miracle… Les tranches se succèdent sans problème. Elles sont nettes, la farce manque sans doute un peu d‘onctuosité, mais elle n’est pas desséchée. Je remets à température les champignons et je réchauffe les gnocchis dans moult beurre demi-sel fondu.

gnocchis
Au bon beurre



Tout est maintenant prêt pour dresser. Je termine en parsemant les gnocchis d'un peu de parmesan râpé et en arrosant les tranches de pintade farcie avec du jus prélevé au fond du plat de cuisson.

rôti de pintade farcie
Elles ne cacabent plus


Finalement, mes craintes étaient vaines. Toute la famille réunie se régale.
Je n’ai pas été le dindon de la farce que je m’imaginais être… Ouf



Pour sa part mon épouse et néanmoins pâtissière maison a confectionné un Bienenstich.

Il s’agit d’une pâte levée recouverte d’une masse aux amandes (tant pour tant miel, sucre, beurre porté à ébullition dans lequel on incorpore des amandes effilées) enfournée à 180 °C durant une demi-heure, puis fourrée après refroidissement d’une garniture consistant en un mélange d’une sorte de crème pâtissière affermie avec de l’agar-agar et de crème chantilly - donc une crème diplomate, me semble-t-il.

Bienenstich
Merci aux abeilles (Bienen) !



Pas mauvais ma foi, même si la pâte manquait un peu de légèreté…

Bienenstich
Une ancêtre de la tropézienne...


Ce qui ne facilitait pas la découpe des parts !

Bienenstich
Epanchement

lundi 11 février 2019

Courrier du coeur

Tendre cœur blessé cherche union profonde avec âme sœur.

Echalote arrachée à sa terre natale souhaiterait réconforter ce cœur saignant.

Ils se rencontrèrent, le mariage fut décidé.
Inutile de dire que Cœur blessé était sur des charbons ardents avant de passer à l’autel (mais non, pas à l’hôtel !). Quant à Echalote, elle se pomponnait, se parfumait : beurre demi-sel (mais non, pas beurre de missel !), vinaigre de cidre, miel de fleurs d’oranger (ça s’imposait…), quatre-épices, poivre rouge et, en touche finale, quelques gouttes d’un odoriférant balsamique de Modène.

Le père Chaud-Rond célébra l’union avec sa bonhomie habituelle en l’église de la Sainte Assiette. Étaient présents Persil, un des anciens voisins d’Echalote, et de nombreuses amies de Cœur blessé.
Les dernières notes de la Marche Nuptiale résonnaient encore quand Echalote se tourna vers Cœur blessé.
« Pourquoi as-tu invité toutes ces patates ? »
Après un silence, elle lança un regard venimeux vers son compagnon.
« Je parierais même que tu les as toutes sautées ! »
Ça commençait mal… Mais je ne suis pas étonné : Echalote en avait déjà fait pleurer plus d’un…


coeur de vau, échalote
La mariée était en brun

jeudi 7 février 2019

L'enquête Corse

Mission : découvrir où se cache le figatellu.


Le vrai, pas un imposteur comme on en rencontre trop souvent.


Ma première piste semblait prometteuse : un individu fils de porc élevé en plein air, en Corse.
Je l’ai mis sur le gril.

figatellu
Va-t-il se mettre à table ?


Quelques châtaignes allaient-elles le faire parler ?

figatellu
Il ne me dit rien !


Eh bien, il ne m’a pas dit grand-chose…
Je me suis réconforté en me coupant une tranche d’une tomme de brebis aux moisissures engageantes.

tomme de brebis corse
Corse ovin


Suivirent quelques canistrelli aux amandes bien croustillants.

canistrelli
Se mettre à l'amande


Enfin, pour mieux digérer cet échec, j’ai siroté un verre de liqueur de mirthe.



Il me fallait continuer ma recherche.
Deux jours plus tard, une piste m’avait conduit vers un autre figatellu qui se cachait à Porto-Vecchio.
J’ai réussi à le faire venir chez moi. Il m’a exhibé ses papiers. Je pouvais y lire :
Porc noir "U NUSTRALE" né et élevé en corse, nourri aux glands et aux châtaignes.
C’était bon signe. Toutefois je l’ai mis dur le gril lui aussi.

figatellu
Un vrai Corse !


Et je n’ai pas eu besoin de châtaignes pour le faire parler. On le sentait fondre quand il évoquait sa terre natale.

figatelle
Il s'épanche


Il avait apporté dans ses bagages un pot de Casgiu Pestu. Je m’en suis régalé.

ciasgu pestu
Lui, il s'étale


Je n’ai cependant pas osé lui dire que ce produit n’arrivait pas à la hauteur du fromage fort que je découvrais il y a bien longtemps dans des colis de produits artisanaux de l’Île-Rousse reçus par ma mère à une époque où l’on ne s’embarrassait pas de considérations diététiques ou sanitaires…

Mais parfois je suis sage, le point final consista en des clémentines. Corses, bien entendu !


dimanche 3 février 2019

Razzia sur le chou

Restaient dans le jardin quelques choux un peu rachitiques que leurs pommes maigrelettes avaient jusqu’alors exemptés de service. Il fallait néanmoins désormais les évacuer afin de récupérer l’espace qu’ils occupaient.
J’ai malgré tout eu à cœur que les trois choux de Milan rois de l’hiver (gros comme le poing…) ne soient pas décapités pour rien, que les deux choux cabus pointus (des petits duduches !) ne se fassent pas hara-kiri en vain et que les quatre choux rouges roodkop (tout aussi chétifs) ne versent pas leur sang inutilement.

Dans une première casserole, je fais suer quatre petits oignons dans une noix de beurre. Je déverse le chou rouge tranché en lanières fines, parsème d’une bonne pincée de sel fin et laisse suer. Puis j’arrose de deux verres de vin rouge de Gaillac, ajoute quatre pruneaux dénoyautés, six ou sept baies de genièvre, une feuille de laurier, une demi-cuillère à café de quatre-épices, un trait de vinaigre balsamique. Je laisse sur feu doux environ une heure. J’obtiens une compotée de chou rouge (à la flamande ou à l’alsacienne, je ne sais pas trop…). Je réserve.

Dans une petite poêle coiffée d’un couvercle, je fais tomber les feuilles des choux verts dans une grosse noix de beurre en compagnies de gros lardon taillés dans un morceau de lard séché portugais et de trois gousses d’ail tranchées en deux. Je pousse jusqu’à un début de caramélisation. Je réserve.

Dans une seconde casserole, je fais blanchir un morceau de poitrine de porc demi-sel plongée dans une eau que j’amène à ébullition. Je renouvelle l’eau dans la casserole, fais réintégrer son domicile au cochon exfiltré provisoirement. La cuisson sur feu moyen est poursuivie une quarantaine de minutes. Mais vingt minutes avant cet achèvement une saucisse fumée vient plonger à côté de la poitrine.


J’éteins le feu sous la cochonnaille.
Je remets à température le chou rouge, en parfumant d’un tour de moulin de poivre - rouge lui aussi, ils sont faits l’un pour l’autre…
Je replace la poêle sur le feu en l’arrosant d’un demi-verre d’eau et je monte ce liquide avec une grosse noix de beurre. Je parfume cette sorte d’embeurrée de chou en râpant une noix de muscade.
Je sors de l’eau poitrine et saucisse, pose sur une planche et découpe.

Il ne me reste plus qu’à dresser l’assiette : Charcutaille entre choux

porc, chou rouge, embeurrée de chou, cabus, chou de Milan
Le rouge et les verts

jeudi 31 janvier 2019

L'imposteur

Il s’est introduit chez moi.
« Salut, je suis le cervelas de Lyon. Je viens me faire embriocher… »
J’ignorais que mes talents d’embriocheur étaient connus jusqu’à la capitale des Gaules et des gones, mais, flatté que j’étais, je me suis prêté au jeu.

« Bon, pour commencer, la formule magique, ce sera cette fois-ci :
Farine : 200 g
Levure de boulanger : 10 g
Sucre : 1 cuil. à soupe
Sel : 1 demi-cuil. à café
Œufs : 2
Jaune : 1
Beurre mou : 80 g
»

Je pétris, finis par le beurre. Je laisse pousser une demi-heure, je pétris à nouveau, je boule et recouvre d’un film. Je mets au réfrigérateur pour trois heures.
« Je peux maintenant m’occuper de toi. Allez, zou, dans le bain ! »
Le cervelas de Lyon plonge dans l’eau d’une grande casserole. Sournoisement j’allume une flamme.
Bientôt l’eau frémit et le cervelas râle.
« Eh, c’est trop chaud !
- Que non, juste la température qu’il faut. Ça ne bout même pas ! Tu veux être embrioché, oui ou non ?
- Oui, mais…
- Il n’y a pas de mais qui tienne, Monsieur le douillet… »
Le cervelas reste coi désormais, même si je lui trouve un air un peu crispé.
« Quarante minutes sont passées, tu vas pouvoir sortir. Je t’allonge et je te déshabille..
- Quoi !!!
- En tout bien tout honneur, mais il faut être nu pour être embrioché.
- Je ne suis pas certain que je veuille vraiment être embr…
- Courage, le plus dur est fait. »


cervelas de Lyon
Saucisson sorti des eaux


Ou reste à faire, car j’ai bien du mal à le dépouiller. Sa vêture est mince, se détache mal et se déchire. C’est la première fois que je rencontre ce problème avec un cervelas en l’embriochant. Et puis je ne sens pas le bon effluve parfumé caractéristique monter vers mes narines. Je deviens soupçonneux.
« C’est sûr que tu es un cervelas de Lyon ?
- Ben oui, je suis un cervelas…
- Mais pas de Lyon, je parie.
- Ben non, de Versailles. »
C'était bien ça ! C’est le charcutier local qui l’a préparé. Certes, le meilleur traiteur de la ville, ses plats sont bien réalisés et plutôt généreux, mais en ce qui concerne les spécialités régionales, à part celles de la Touraine d’où il est originaire, ce n’est pas la réussite. Ses francforts, par exemple, défigureraient une choucroute alsacienne. Mais tant pis… Je ferai avec.
« Je ne sais pas si vous méritez d’être embrioché, Monsieur l’imposteur…
- Je ne suis pas lyonnais pure souche, mais je suis quand même pistaché !
- Ouais, pistaché mais menteur… Cependant quand la pâte est pétrie, il faut la cuire. Je serai bon prince. Il sera fait quand même selon ton souhait.
- Merci, ô merci !
- Ne m’embrasse pas, tu risquerais de me tacher. Et pour l’instant tu vas aller au frais.
- Tout nu ? Ah non !
- Jamais content. Finalement tu es un guignol, c’est ton seul côté lyonnais. »


Deux heures plus tard, je sors la pâte et le cervelas déchu, devenu saucisson à cuire.
J’étends la pâte.

cervelas de Lyon, brioche
Le lit douillet


« J’ai fait ton lit, tu vas pouvoir t’allonger
- Eh, pourquoi tu m’enfarines ?
- C’est pour mieux te border, mon enfant. »
Je rabats les bords, les colle avec le même jaune d’œuf étendu d’eau qui servira à badigeonner.

saucisson en brioche
Les pans se sont refermés


« Eh, c’est trop serré, j’étouffe !
- C’est ça être embrioché. N’est-ce pas ce que tu m’as demandé ?
- J’ai dû confondre avec entarté…
- Tu n’es pas encore assez célèbre pour ça ! Allez, un dernier coup de pinceau… »

cervelas brioché
Un peu de fond de teint


J’enfourne à 180 °C pour un peu plus d’une demi-heure.

saucisson brioché, cervelas de Lyon pistaché
Plus tout nu, mais tout bronzé


« Et voilà, tu es embrioché ! Tu es content ?
- Je me sens partagé… »

cervelas de Lyon brioché
Saucisson partagé





Perplexe, j’ai effectué des recherches pour expliquer le boyau inhabituel de ce saucisson, et j’ai pu lire sous la plume de Laurent Mariotte :
Les règles ne sont pas les mêmes pour le cervelas et pour le saucisson à cuire traditionnel. Le choix des matières premières et le hachage des morceaux sont les deux étapes qui font la différence.
« On utilise un boyau de bœuf pour le cervelas tandis qu’on utilise un boyau de porc plus épais pour le saucisson à cuire. »
Porc, plus épais ? Mais là la peau de ce saucisson à cuire était au contraire plus fine que d’habitude…
En revanche  sur un site spécialisé je découvre :
Menu de bœuf :
Paroi plus épaisse que menu de porc, gris rose
Menu de porc :

Texture fine presque transparente, nervuré, clair, beige clair  

Chez Bobosse comme chez Sibilia, il s'agit bien de bœuf pour les cervelas. Mais aussi pour les saucissons à cuire...
Qui croire ?

lundi 28 janvier 2019

Le soir des longs couteaux

⧞∞Le projet initial était de réaliser un plat à base de coques, mais des bottes de solens alignées sur l’étal du poissonnier ont tout changé. Comment résister à l'intimidation de ces couteaux ? Ce soir, ce sont eux qui seront au menu.
Les bêtes droites dans leur botte sont débarrassées de leur bas résille et de leur ceinture avant de plonger au sein d'un océan reconstitué.

couteaux, solen
Dans leur sortie de bain


À leur chute, un tsunami vient envahir les rives de la bassine. Le bain se plongera un couple d’heures, pendant lesquelles je viendrais épisodiquement agiter cette eau trop tranquille. Précaution presque inutile, car à la fin, sous les couteaux, pas de plage… Seulement quelques grains de sable. Mes prédécesseurs en nettoyage avaient bien œuvré !
Pendant que je joue les Poséidon au petit pied - quoiqu’une tempête dans une bassine soit quand même mieux qu’une tempête dans un verre d’eau… - je réfléchis à l’accompagnement de ces coquillages.



Un risotto peut-être ? Mais non, j’ai plus original. Je viens de penser qu’il me restait la moitié d’un sachet de petites pâtes hongroises que j’avais ouvert il y a quelques jours pour agrémenter le bouillon de bœuf avantage collatéral de la préparation du hachis parmentier. Il nous avait fourni un délicieux et bienfaisant potage. Je réaliserai donc un tarhonyasoto !

tarhonya



Considérant le chiffre 8 qui parade au centre de l’étiquette, il me revient un souvenir honteux. Il faut savoir que chaque fois que je saisis un paquet de pâtes industrielles je me mets à fulminer, passant du grognement aux invectives. En effet les beaux esprits chargés du packaging - malfaisants que je maudis ainsi que leur descendance jusqu’à la nième génération, n étant un entier compris entre 10 et l'infini - s’évertuent à dissimuler la durée de cuisson dans le coin le plus improbable et/ou avec le caractère le plus minuscule. Alors, quand j’ai ouvert mon premier sachet de tarhonya, je me suis exclamé : « Bravo, les Hongrois, enfin une durée de cuisson mise en évidence ! ». Au bout de huit minutes, le minuteur a sonné, j’ai retiré les pâtes et les ai servies arrosées de je ne sais plus quelle sauce. Madame s’est faite critique.
« À mon avis, elles ne sont pas assez cuites…
- Mais si, tu es une femme du passé, désormais les pâtes se mangent al dente.
- Al dente, mais pas crues…
- Pour ma part je trouve cette mâche un peu ferme et cette note céréalière de farine fraîchement blutée fort plaisantes.
- Ouais, la pâte croquante, ce n’est pas ma tasse de thé… »
Croquante, croquante… Je reconnais là la tendance de ma compagne à l’exagération et à la mauvaise foi. Toutefois, en mon for intérieur, force m’est de reconnaître que son avis n’est pas dénué de tout fondement… Quelques heures plus tard, je me livre à une recherche en catimini. Et là, horreur, je m’aperçois que le 8 ne donne pas le nombre de minutes dans l’eau bouillante, mais le nombre d’œufs par kilo de pâtes ! Je découvre la durée de cuisson préconisée en lisant la traduction française : une trentaine de minutes.
Mes pâtes avaient effectivement une légère sous-cuisson…


Trente minutes. Ça ne m’arrange pas, car il me faudra touiller pendant une demi-heure, pire que la vingtaine de minutes exigée par le risotto…
Je me lance donc aussitôt dans la mise en place. Je hache finement un oignon blanc, une poignée d’échalotes et deux gousses d’ail, je cisèle le quart d’une botte de persil. Je réserve une partie de la découpe d’échalotes pour le tarhonyasoto.
Parallèlement, je mets à bouillir 60 cl d’eau. J’éteins et laisse infuser deux sachets de bouillon de crustacées Ariake.
Bon finalement, il est trop tôt pour commencer les cuissons. Je vais simplement m’avancer un peu pour l’ouverture des couteaux qui devra être très rapide. Je fais fondre une noix de beurre au fond d’un sautoir, y verse oignon et échalote que je fais suer doucement, puis verse un petit verre de sauvignon. J’ajoute le persil, l’ail, une feuille de laurier, un brin de thym. J’éteins aussitôt. Je rallumerai la flamme quand le tarhonyasoto aura presque terminé sa cuisson…
Je quitte la cuisine pour m’accorder une pause que j’estime méritée. Quand tout à coup je me mets à renifler. Mais oui, c’est bien une odeur de cramé… Je cours vers mon fourneau, eh oui, j’avais mal fermé le gaz sous le sautoir. Je goûte, c’est immangeable, outrageusement amer. Il ne reste plus qu’à nettoyer l’ustensile - heureusement le contenu est à moitié carbonisé mais n’a pas attaché - et recommencer mes opérations de hachages divers. Cette fois-ci, je ne m’éloigne pas du sautoir et vérifie bien l’extinction !
Et c’est l’heure de commencer le tarhonyasoto.
Au fond d'une petite sauteuse évasée, je fais suer l’échalote réservée parsemée de sel fin. Je verse le contenu entamé de mon sachet de pâtes que je fais légèrement colorer. J’humecte d'un verre de sauvignon  puis de deux louches de bouillon chaud qui sont rapidement absorbées. Je continue, touillant et ajoutant bouillon quand nécessaire.

tarhonya
Tarhonyasoto en gestation


Au bout de 25 minutes j’interromps cette gymnastique, il est temps de passer à l’ouverture de la première moitié des couteaux.
Je pose le sautoir sur une grande flamme, allonge les bestioles et pose le couvercle. Deux minutes plus tard, je décoiffe, les couteaux se sont ouverts. J’en prélève la chair que je partage sur une planche en tronçons de deux centimètres environ que j’incorpore au tarhonyasoto remis sur le feu. Encore une louchée, je touille. J’ai la bonne consistance, je goûte, c’est cuit, j’ose l’affirmer malgré la méfiance que peut susciter mon ancienne aventure. Je rectifie l’assaisonnement.
J’étale ce tarhonyasoto sur les assiettes. Je recommence l’opération ouverture pour le reste des couteaux, les laissant quatre minutes sur la flamme. Là, point de découpe, je me contente de disposer le résultat de cette cuisson parmi les pâtelettes risottées, tout en conservant quelques coquilles peu utiles, je le reconnais, au point de vue gustatif, mais propres à nous évoquer les iodés bords de mer. J'arrose d'une cuillerée du jus des coquillages. Quelques cercles découpés dans des oignons viennent compléter le décor. Enfin des pincées de curcuma et de paprika ajoutent leur couleur…

solen, couteau, tarhonya
Coutellerie


Les cuissons sont convenables - suffisamment pour les pâtes, sans excès pour les couteaux. Pour une fois que je ne me plante pas !


samedi 26 janvier 2019

Bouillon vert

À quelques encablures de notre jardin se trouve celui d’un Portugais qui, après une escapade dans son pays natal, avait rapporté - ah, saudade, saudade… - des plants de choux portugais.



Il nous en a donné quelques pieds qui, ma foi, ont prospéré dans un coin de notre lopin de terre.
Et c’est ainsi que sur mon plan de travail se trouvent quatre pièces de Couve Tronchuda. Je vais réaliser un caldo verde dont quelques assiettées seront bienvenues pour résister aux frimas ambiants.
Je commence par éplucher un sextuor de pommes de terre du jardin de la variété Samba et deux oignons paille. Je les plonge dans l’eau froide d’un faitout, ajoute une cuillerée rase de gros sel et place sur le feu. Je laisse cuire à petits bouillons durant environ une demi-heure.
Pendant ce temps je détache les feuilles des choux, les lave et les lacère en lanières.
Je me saisis d’un pilon à purée et écrase grossièrement pommes de terre et oignons. J’ajoute les lambeaux de chou, verse une bonne rasade d’huile - portugaise, bien sûr ! - et une douzaine de tranches d’un chouriço acheté au magasin de produits lusitaniens abrité sous les halles locales.

chouriço
Chouriço


Je laisse frémir à feu doux cinq minutes, je rectifie l'assaisonnement et donne un tour de moulin de poivre noir. La soupe est prête.

caldo verde
Rondelles barbotant


Il ne reste plus qu’à la verser dans les assiettes creuses sur des tranches de pain au maïs. Cette baguette que j’ai laissé un peu rassir provient d’un boulanger d’origine portugaise qui réalise quelques spécialités de son pays natal - mais aussi, il faut le dire, les meilleurs croissants de ma ville.

caldo verde
Assiette de bouillon vert


Cette variété de chou, aux notes délicates, est à la fois tendre et savoureuse. Bien que je n’aie pas pu enlever la peau du chouriço, sa présence n’est absolument pas gênante en bouche.
Un seul regret : j’aurais dû mettre un peu plus de pomme de terre pour lier le liquide, et découper le chou en bandes plus fines. Bof, ce sera un prétexte pour renouveler cette expérience culinaire avec les choux restés en terre…