Je m’excusais.
« Attends une seconde. Je m’occupe d’œufs.
- De qui ?
- Mais non, une paire d’œufs…
- J’sais bien qu’une paire ça fait deux.
- Ils se sont cassés…
- Où ça ? Remarque, c’est normal, tu n’es pas très aimable.
- Possible, je cuisine dans l’improvisation. Ils ont été accidentés au retour du marché…
- Et toi tu n’as rien eu ?
- Si, un pied écrasé par le caddie d’une grosse mémère emperlousée. Et toi, pousse-toi une seconde que j‘ouvre la boîte de corail d’oursin. Tu veux goûter ? C’est de la langue espagnole.
- Si c’est écrit en espagnol, comment sais-tu que c’est bien de l’oursin ? Je préfère ne pas essayer. »
Pendant que nous discutions, je dépose les œufs sur une assiette, ajoute le corail, saupoudre de piment d’Espelette et d’algue nori en flocons.
Pontes de poules et d'oursins |
Arnaud est intrigué.
« Qu’est-ce-que c’est que cette poudre verte ?
- C’est de l’algue rouge.
- Farceur ! »
Je déguste mon plat. Son parfum d’embruns me fait me pâmer. Je hume et pousse un soupir.
« La mer dans mon assiette !
- C’était prévu ! J’ai bien fait de refuser. Pouah, de l’amer… Je déteste ça.
- Mais non, la mer, tu sais, la mer avec des oursins, des algues...
- Bestioles ou pas bestioles, de toute façon je n’aime pas l’amer ! »
Pendant que je mange, Arnaud s’arrête devant une photo de mon plat de la veille qu’un aimant retient sur la façade du frigo.
La ronde des noix (et encore du corail...) |
« Ah, il est beau ce vitrail de Saint-Jacques de Compostelle… Magnifique rosace !
- Mais non, saint-jacques et pas Saint-Jacques !
- Saint-Jacques, c’est bien ce que je dis… Tu as fait le pèlerinage ?
- Ben là, juste un rapide aller-retour. Avec du safran et du beurre.
- Ils ont du bon safran en Espagne. Tu as bien fait d’en rapporter. Mais pour le beurre, je ne comprends pas…»
Je renonce a priori à lui expliquer. Puisqu’il veut du pèlerinage, donnons en lui ! Surtout qu’il ajoute : « J’aimerais bien faire comme toi. Raconte moi des souvenirs de ce voyage…. »
J’obtempère.
« Eh bien, un de mes meilleurs, c’est quand j’ai fait étape à Conques, Arnaud…
- Concarneau ! Tu n’as pas pris l’itinéraire le plus court !
- Mais non, le village où un trésor est gardé par l’abbé de Conques, Arnaud !
- La baie de Concarneau, c’est bien ce que je disais. Je suppose que tu t’es gavé de sardines et de crêpes...
- Hum, ce n’est pas vraiment la spécialité locale dans le Massif...
- Armoricain. Tu vois que je connais ma géographie !
- Oui, je vois. Mais c’est d’aligot dont je me suis régalé.
Opération de musculation |
- Celui de Concarneau, je parie.
- Mais non. Le porc du Rouergue.
- Connais pas ce port ! »
Je préfère ne pas relever. Mes souvenirs gastronomiques remontent à la surface.
« Ah, ces saucisses cuites dans un verre de vin blanc avec des champignons de Paris et de l’échalote ciselée, puis parsemées d’une gousse d’ail hachée finement qui offraient une touche d’acidité s’alliant avec bonheur avec l’aligot filant…
- Filant vers Compostelle ? Ah, ah… Ils n'avaient pas tort, car tu avais encore pas mal de chemin à faire ! Remarque, à ta place, finalement je me serais arrêté là, j’aime beaucoup ce port breton où j’ai jadis passé des vacances. Et puis la Bretagne, ce n’est pas aussi pluvieux qu’on le dit. Je me souviens : il n’y a pas plu, Concarneau ! »
Il ne croit pas si bien dire, Arnaud…