Je m’étais tellement régalé avec le farci poitevin acheté au stand de ma marchande exécrable que j’ai envie de renouveler ce plaisir. Mais elle est seule derrière son étal, enfin, pas exactement, car elle y papote avec un couple de personnes âgées vraisemblablement de la famille. Pas trop envie d’échanger avec elle, mais la gourmandise est la plus forte. Je réprime un rancunier « Je croyais que vous ne vouliez plus en faire car ça demandait trop de travail » et lui demande d’en découper une tranche. Et je m’entends ajouter, sans doute plus comme une autojustification que comme un compliment adressé à cette personne revêche qui nous a jadis escroqués : « Votre farci est le meilleur de la région, bien équilibré, sans cette dominante de chou et cet excès de viande qui gâche le goût de la plupart. ». Je vois alors son visage s’illuminer, elle est devenue une tout autre personne, fière de ce compliment sous le regard de ses proches. « Ah non, je ne mets aucun chou de ma farce, rien que des herbes avec un peu de lard gras ! ».
J’en arrive à me demander si ses comportements précédents n’étaient pas ceux d’une paysanne – car cet artisan vend les produits de son élevage, d’ailleurs l’abondance en herbes ne proviendrait-elle pas du fait qu’elles sont cultivées à la ferme… - devant le Parigot qu’elle devine en moi. Et c’est les yeux embués par l’émotion et arborant un sourire dont je l’aurais crue incapable qu’elle me tend mon achat – tarifé cette fois-ci au juste prix.
Ce bon farci sera l’apex de notre frugal repas de midi.
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Farci 3* |
Pour le repas du soir, ce sont un ostréiculteur et un poissonnier qui m’en fourniront les ingrédients.
En premier lieu, je rachète une dizaine de ces remarquables crevettes impériales qui me semblent encore plus agitées que la fois précédente sur l’étal du vendeur.
De la météo sur l’agitation des gambas ?
Puis je retourne auprès des beaux pétoncles noirs que j’ai aperçus lors de mon tour exploratoire du marché. Je m’en procure une douzaine.
Le soir, je gratte les pétoncles pour les débarrasser des petites balanes et crépidules qui se sont fixées sur leurs coquilles et les plonge dans une bassine d’eau salée afin de leur faire dégorger leur sable.
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Je vous ferai rendre gorge ! |
Il me faudra sept transvasements successifs avant de ne plus découvrir de restes de sable au fond de la bassine.
Puis je sors la boîte contenant les crevettes impériales, et la chaleur réveille tout ce petit monde. Je me dépêche de recoiffer avant que l’une d’elles fasse un bond et aille se réfugier sous une armoire, comme ce fut le cas la dernière fois.
Je sais qu’il va falloir faire vite et bien enchaîner les figures.
Je commence par aller couper deux branches de mélisse dans la cour.
En en revenant je découvre un phasme en train de s’exposer au soleil couchant sur le mur à côté de la porte d’entrée de la cuisine.
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Un gaulois qui n'a rien d'Obelix |
Je ne savais même pas que ce genre de bestioles que jusqu’à présent je n’avais fréquenté que confinées dans des terrariums, en particulier ceux de l’Opie à Guyancourt, pouvaient se rencontrer dans notre bonne région poitevine. Une recherche effectuée plus tard me montrera que ce Clonopsis gallica est discret (enfin, pas toujours…) mais bien présent en Poitou-Charentes.
Mais ça, j’en prendrai connaissance plus tard, car après une rapide séance de shooting, je dois abandonner ma vedette gauloise pour me consacrer à mon plat.
Je retire les feuilles des tiges de mélisse, les mets grossièrement en lambeaux et réserve. Je m’empare d’une cocotte, y verse un trait d’huile d’olive dans laquelle je fais tomber une noix de beurre demi-sel fermier. Je la pose sur un feu vif, et quand le beurre commence à mousser, j’ajoute les pétoncles que j’arrose du demi-verre de sauvignon qui attendait sur un coin de la table. Les coquillages commencent aussitôt à s’ouvrir, je parsème des déchirures de mélisse et me dépêche de vider par-dessus les pétoncles les crevettes impériales. Je coiffe prestement du couvercle. Il était temps, car j’entends durant quelques secondes le bruit du choc des gambas heurtant la fonte dans leurs bonds désespérés, période heureusement très brève, ce qui soulage mon âme compatissante.
Je laisse sur le feu encore quatre minutes, le temps que les pétoncles finissent de s’ouvrir et que les crevettes achèvent leur cuisson dans la vapeur du vin blanc.
Je retire du feu, décoiffe la cocotte. La cuisson me semble réussie.
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Bravo, ma cocotte |
L’ustensile de cuisson métamorphosé en plat de service va sur la table, puis son contenu petit à petit sur nos assiettes.
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Premier service |
On mangera avec les doigts, s’essuyant avec un vulgaire papier essuyant-tout, alors pourquoi pas nos paluches dégoulinantes. C’est bien bon, le parfum discret de mélisse fonctionne parfaitement avec ces fruits de mer, les pétoncles développent une petite note sucrée fort plaisante et les crevettes impériales sont cuites à point, offrant une chair encore légèrement nacrée.
Pour finir ce festin, Madame avait réalisé des œufs au lait particulièrement réussis, fermes à souhait.
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Dans le bain, Marie |
Je lui ai demandé sa recette.
« Un litre de lait, six œufs, cent vingt grammes de sucre, puis au four à 180 °C dans un bain-marie avec l’eau déjà chaude, ça c’est important.
-Et combien de temps ?
-Ben…. Ben j’sais plus ! »
Mais chacun sait que la cuisine ménagère se fait au feeling… En tout cas, le résultat était là.
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Ils sont laids,les oeufs à l'eau, ils sont beaux, les oeufs au lait |