lundi 4 novembre 2019

Régionalovore, encore

Poursuite dans la lignée régionalovore avec ces rillettes de Tours que :



rillettes de Tours
Ma tartine du soir...

Cette préparation, si prisée par quelques gourmands, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; si j’en entendis parler avant d’être mis en pension, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain ; mais elle n’aurait pas été de mode à la pension, mon envie n’en eût pas été moins vive, car elle était devenue comme une idée fixe...

Ben pour moi comme pour Balzac, cette préparation est devenue une idée fixe. Mais pour d’autres raisons…
Elle paraissait souvent sur la table non aristocratique de ma grand-mère, dans des pots en carton paraffinés achetés dans l’épicerie tenue par ma marraine. On y découvrait un enchevêtrement de filaments d’un brun foncé, presque noirs, qu’un peu de graisse translucide avait bien du mal à agglutiner. Un concentré de réactions de Maillard qui fondait dans la bouche… Je me souviens que ce délice était produit par la maison Mirault, aujourd’hui disparue. Je n'ai jamais plus retrouvé les sensations exquises que me procurait cette confiserie porcine. Le seul vestige de cette ére révolue que j’ai pu découvrir est un pot – vide – d’époque tardive, vraisemblablement du règne pompidolien, vendu par un rilletovasophile sur Ebay.



Eh oui, depuis cette disparition, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain, ni même de me l’étendre tout seul, les charcutiers tourangeaux décadents ou défaitistes étant passés sous la domination culturelle de la pâlichonne et molassone rillette du Mans durant une période que j’appellerai les Trente Honteuses.

Dieu soit loué, la rillette de Tours est devenue tendance –  la distinction bourdieusienne  a parfois du bon – et la rillette d’Indre-et-Loire prend de plus en plus de hâle non seulement avec l’aide d’arôme Patrelle mais surtout par une cuisson plus longue afin de séduire le foodiste de passage.
C’est ainsi que j’ai pu recouvrir un quignon de baguette fendu d’une épaisse couche de rillettes qui, certes, ne parvenaient pas à assouvir entièrement mes fantasmes, mais qui méritaient leur dénomination de rillettes de Tours. Ce qui n’est pas vraiment le cas de celles d’une vieille maison vouvrillonne ayant hélas changé de mains, dont le goût n’est pas mal du tout, force m’est de le reconnaître, mais dont la couleur pas assez sombre et la texture trop hachée, presque mixée, n’ont rien à voir avec une brune confiture de cochon, et qui pourtant furent médaillées au Salon de l’Agriculture…

Après tant d’années arriverait-on enfin à bon porc?



mercredi 30 octobre 2019

Bernache : baisser de rideau

Eh oui, je ne puis me remettre devant une telle table : la saison de la bernache est terminée.



bernache, châtaignes
Au diable les regrets...


Seules restent les châtaignes…
Mais aussi les fromages de chèvre achetés sur les marchés aux éleveurs, comme ceux qui composent cette assiette, sainte maure du Richelais avec sa paille, ainsi que bûche, chabichous - avec ou sans poivre - du Mirebalais, quand même moins bons qu’à la fin du printemps.


fromages de chèvre
Tirons le vainqueur à la courte paille


On les fera désormais descendre avec un bon chinon blanc : après tout, c’est une bernache qui a su atteindre l’âge adulte…

Pas parti en vrilles !

J’ai réchauffé la tarte-récup, constituée du reste de garniture et des chutes de pâte feuilletée que j’avais étendues après la confection de ma tourte vrillée au champignon.

tarte, duxelles de champignon
Où j'ai dévrillé...


Ce qui au départ n'avait été créé que dans le cadre d’un souci de bonne gestion, et dont l’aspect peu glamour n’avait rien d’enthousiasmant, s’est révélé être un pur régal. Partis à reculons pour liquider ce reste, nous l’avons terminé avec un goût de trop peu dans la bouche !

Certes, la tourte vrillée était fort bonne, mais la duxelles de champignon améliorée n’y jouait qu’un rôle de garniture. Pour cette tarte, en revanche, elle joue la vedette, le fond de pâte n’étant que la scène sur laquelle elle s’exprime.
Et ça, s’exprimer, elle le fait bien.
Une retraite au frais durant 24 heures lui a permis de s’améliorer en peaufinant les alliances et en
acquérant de la rondeur.

Pourquoi ce mélange a si bien fonctionné ? Quelques pistes me viennent à l’esprit :

-Le fait d’avoir laissé quelques tranches de champignon émincé a permis d’obtenir une caramélisation de ces îlots émergeant par endroits de la surface de la garniture.
-L’ajout des tomates déshydratées, donc de haut goût, cependant encore moelleuses, a conféré à la fois une note sucrée et une pointe d’acidité, sans oublier le bon parfum de ces fruits de jardin qui se marie bien avec celui des champignons de Paris.
-Les gouttes de Tabasco rouge déposées sans timidité ont rehaussé le mélange en titillant les papilles.
-Enfin le parmesan a assumé sa fonction d’exhausteur de saveurs, s’ajoutant au rôle de liant de la béchamel…

Un seul regret, je ne retrouverai jamais cette perfection à l’identique, car les proportions ont été définies au feeling. Mais après tout, n’ayant pas une clientèle à satisfaire, je puis me permettre une cuisine aventureuse qui autorise les joies de la découverte innatendue au prix de parfois quelques déconvenues...

lundi 28 octobre 2019

Cuisine de frigo

Il me restait des champignons de Paris – nés dans le Maine-et-Loire… - achetés pour un projet culinaire qui ne s’était pas concrétisé et qui se morfondaient au fond du frigo. Non loin, deux plaques de pâte feuilletées préparée par un traiteur, rescapées d’un trio dont le premier individu avait servi à réaliser une tarte fine en la couvrant de lamelles de pommes, se rapprochaient dangereusement de leur DLC. Quand je vis à la télévision un boulanger se lancer dans la confection d’une tourte vrillée dans son challenge d’intégration de champignons avec l’espoir que son établissement progresse vers le titre de Meilleure boulangerie de France, l’illumination m’est venue…


C’est donc décidé, je passe à l’action !
Je hache la majorité des champignons, en réservant environ un cinquième que je me contente de ciseler afin de conférer un peu de mâche. Je cisèle une grosse échalote cuisse de poulet.
Je peux me lancer dans la confection de la duxelles :
Je fais suer l’échalote dans une bonne noix de beurre, puis ajoute les champignons ainsi qu’une branche de romarin et une feuille de lauriers que je retirerai après cuisson. Les échappés de cave saumuroise puis de bac à légumes évacuent leur eau sur une flamme moyenne, puis je baisse le feu et laisse évaporer sous un couvercle légèrement entrouvert en brassant délicatement de temps en temps. Eh oui, je ne suis pas certain de maîtriser vraiment le geste auguste du sauteur de poêle ni même de sautoir (pourtant c’est étudié pour…). Quand il ne reste pratiquement plus de liquide, j’éteins et réserve, assaisonnant de fleur de sel et de poivre rouge du moulin.


duxelles, tourte vrillée
Duxelles sera toujours Duxelles


Je passe ensuite à la confection d’une béchamel épaisse dans laquelle je fais fondre du parmesan que je viens de râper. J’incorpore cette sauce à ma duxelles.


tourte vrillée
Avec l'onction de la béchamel


Je relève le mélange de gouttes de Tabasco.
Je goûte. Il me semble qu’il manque un ingrédient pour fournir un plus de vivacité à cet appareil un peu endormi avant d’en farcir ma tourte…
Une solution me vient à l’esprit. Dans un coin du frigo un sachet de tomates cerises du jardin que j’avais déshydratées et mises sous vide attend que j’en fasse bon usage. J’en prélève la moitié que je découpe grossièrement avant de l’introduire dans ma garniture.


tomates déshydratées
Eh oui, déshydratées !


Je goûte une nouvelle fois. Bingo ! La saveur et la texture sont nettement améliorées, il me suffira de rajouter une pincée de sel ainsi qu’un tour de moulin de poivre, et ce sera parfait - ou au moins presque parfait du subjectif.

Le plus délicat reste à faire : le montage.
J’étale une des plaques de pâte feuilletée et y découpe un disque avec une assiette en guise de gabarit. C’est un peu trop petit à mon gré, mais je n’ai pas de cercle plus grand sous la main et la seule plaque de cuisson dont je dispose ici est elle-même de taille restreinte. Je recouvre de ma duxelles améliorée jusqu’à 1 cm du bord. Il me reste de cet appareil, alors j’en tartinerai les chutes de pâte rassemblées et étalées pour obtenir une sorte de tarte.
Je réserve ce disque garni au frais le temps de produire son couvercle à partir du second rectangle de pâte feuilletée.
Je coiffe en ajustant bien les bords, que je scelle à l’aide des pointes d’une fourchette. Je cherche un verre suffisamment étroit pour, une fois placé au centre, me laisser assez d’espace pour après découpe obtenir des branches d’une longueur suffisante pour les torsader.
Je découpe suivant les rayons pour obtenir douze branches autour du disque central préservé sous sa cloche de verre que je retire après l’opération. Je tente un premier vrillage qui confirme ma crainte de ne pouvoir effectuer qu’une seule rotation mais surtout me montre que la chaleur ambiante – le four est en préchauffe – a rendu la pâte trop molle pour être manipulée sans risque de déchirure ou tout au moins d’élongation intempestive. Alors j’introduis ma tourte fendue mais pas encore vrillée dans le congélateur pendant quelques minutes que je mets à profit pour préparer ma tarte de récup annexe.
Je sors la tourte, c’est bien, la pâte n’est pas devenue cassante mais a pris de la tenue. En faisant vite, ça devrait pouvoir aller. Et effectivement je parviens à réaliser mes mono torsades sans encombre.
Je remets au congélateur.
C’est bon, je vois que les 180 °C sont atteints et que le témoin du thermostat n’est plus allumé Je sors la tourte vrillée de son antre glaciale, la barbouille de jaune d’œuf étendu d’eau et l’enfourne. Elle restera 25 minutes dans ce four avant d’en sortir bien dorée.


tourte vrillée, champignons
Fait comme un Râ


Je suis plutôt content du résultat, même si le jury qui accusait le candidat de manque de perfection dans la finition m’accablerait sans doute de ses sarcasmes devant mon approximation.

Mais une chose est certaine, quand, après avoir laissé tiédir, nous dégustons les pièces arrachées du moyeu central : c’est que c’est très bon.


tourte vrillée, tarte en étoile
Bien en bouchées


La garniture est encore plus savoureuse après cuisson, les flaveurs s’étant entremêlées dans un équilibre jouissif pour les papilles, et la pâte feuilletée apporte le croustillant nécessaire.

Mon valeureux frigo, bien que presque trentenaire, sait se montrer un coffre aux trésors insoupçonné. Mais il faut quand même y mettre un peu du sien…



_

jeudi 24 octobre 2019

La ferme !

Fermes dans le Haut Poitou…

L’une à une trentaine de kilomètres de ma maison : un éleveur de charolaises.


Son troupeau


L’autre à une quinzaine : un éleveur de volailles.

Sa troupe


Je vais donc me lancer dans la proxivoracité par le biais du magasin de producteurs local.

Pour commencer, une côte de bœuf. Je ne suis pas très porté vers la race charolaise, en raison de son manque de caractère gustatif et la faible présence de gras. Il me semble que ses qualités bénéficient surtout aux éleveurs. Mais, pour une fois, pourquoi ne pas me donner l’occasion de tenter de réviser mon jugement ?


Côte, charolaise
Belle, mais maigre...


Pas de barbecue, le temps ne s'y prête pas. Je saisis sur les quatre faces la côte, remise à température ambiante et salée généreusement, dans la poêle striée placée sur un feu vif sans excès – ça se traumatise si facilement, ces grosses bêtes – avant de la laisser une dizaine de minutes au four à 160 °C.
Puis je la laisse reposer sur une planche, toute nue sans couverture d’alu afin d’éviter que la croûte maillardesque ne se ramollisse.


charolaise, côte de boeuf
Sur la planche


Quelques minutes plus tard, après avoir donné des tours de moulin de poivre rouge et parsemé de 99, non, pardon, qq grains de fleur de sel, je procède à la découpe.


côte de charolaise
Je coupe et je recoupe


La viande est relativement tendre, il n’y a pas trop de déchets à écarter dans le coin de l’assiette, mais c’est ce que je craignais : avec la charolaise, la chair est triste.
Mais au moins je pourrai être décoré du mérite proxi-agricole !


Un peu plus tard, mon poulet du dimanche. Pour une fois, pas pal ; tout simplement parce que mon pal est resté en ville…

Comparée à mes poulets des Landes ou du Gers achetés chez le volailler – je ne parlerai pas de ceux de Bresse qui jouent dans une autre cour – et même ceux de supermarché, la bête m’apparaît plutôt étique. Surprise, surprise, quand je la soulève de la barquette sur laquelle elle gît, je constate qu’elle a conservé son cou et sa tête. Ce serait un plus si je voulais la faire en sauce, et certains ou certaines de mes aïeux s’en seraient régalés en extrayant la cervelle et en en grignotant la crête, mais je suis parti pour un poulet rôti, alors il me faut opérer. Je garderai cependant le résultat de cette décapitation pour parfumer le jus au fond du plat qui va enrober les pommes de terre que je vais y poser. Soulagement, je sors du coffre un gésier et un foie parfaitement parés. Je passe vaguement la main à l’intérieur, ayant l’impression qu’il me manque quelque chose. Je ne trouve rien. J’oublie vite cette impression d’inachèvement et emplis d’ail, feuille de laurier, herbes, oignon blanc, poivres et noix de beurre demi-sel. Je découvrirai à la découpe que c’était le cœur qui me manquait (non pas celui à l’ouvrage, mais celui de ma volaille), démontrant ainsi que je suis un piètre palpeur et un chirurgien incompétent.
Je sale, étends le poulet dans le plat, l’entoure des pommes de terre agrémentées de deux gousses d’ail, d’une feuille de laurier et d’herbes, puis enfourne à froid. La cuisson dure une heure et quart, dont 20 minutes sur un flanc, 20 minutes sur l’autre flanc, 15 minutes sur le dos, introduction d’un verre d’eau et du gésier, 20 minutes sur le ventre, le foie n’étant posé que 8 minutes avant la fin de cuisson

Je défourne.


poulet fermier
Il m'a fait perdre la tête !


Je pose le poulet  sur une planche, et remets le plat avec ses pommes de terre au four à 190 °C le temps de découper l’animal.
Le poulet est bien goûteux, plus copieux que son apparence première ne le présageait, et la chair, particulièrement ferme – plus encore que celle de mes Label Rouge - sans être pour autant coriace prouve que ces gallinacés se sont particulièrement démenés sur leurs parcours. Un vrai poulet de ferme !
Ce poulet devrait être parfait pour une recette en sauce, et si je devais le servir une nouvelle fois rôti, je pratiquerais une précuisson dans un bouillon, ainsi que le pratiquait la patronne d’un petit restaurant périgourdin dont la remarquable cuisine me laisse encore un souvenir ému.
Les pommes de terre, fondantes à l’intérieur, se sont revêtues d’une coque craquante. Leur fécule a lié la sauce parfumée dont nous arrosons généreusement nos cuisses (enfin, celles du poulet, quoique la présence d’une serviette sur elles (enfin les nôtres, pas celles du poulet) ne soit pas une précaution inutile…).
Bref, dans ce cas, la proxivoracité paye.

Comme quoi le poulet peut se montrer plus fort que le bœuf !

lundi 21 octobre 2019

À la fête de lumas

Ils étaient une trentaine, partis du pays charentais à la fête de lumas, accompagnés par leurs lardons. Mais un peu trop imbibés de pineau, ils s’embourbèrent dans la tomate et les herbes, s’égarèrent et finirent chez moi.
Je leur offris le gîte et mes couverts (à escargots).
Ils étaient bien bons.

escargots à la charentaise, cagouilles, lumas
Lumas à la charentaise


Moralité : il faut mieux rester dans sa coquille quand il fait un vent à décorner la bête, même si c'est pour se rendre à la fête de lumas.





samedi 19 octobre 2019

Cuisine du marché

Je m’étais tellement régalé avec le farci poitevin acheté au stand de ma marchande exécrable que j’ai envie de renouveler ce plaisir. Mais elle est seule derrière son étal, enfin, pas exactement, car elle y papote avec un couple de personnes âgées vraisemblablement de la famille. Pas trop envie d’échanger avec elle, mais la gourmandise est la plus forte. Je réprime un rancunier « Je croyais que vous ne vouliez plus en faire car ça demandait trop de travail » et lui demande d’en découper une tranche. Et je m’entends ajouter, sans doute plus comme une autojustification que comme un compliment adressé à cette personne revêche qui nous a jadis escroqués : « Votre farci est le meilleur de la région, bien équilibré, sans cette dominante de chou et cet excès de viande qui gâche le goût de la plupart. ». Je vois alors son visage s’illuminer, elle est devenue une tout autre personne, fière de ce compliment sous le regard de ses proches. « Ah non, je ne mets aucun chou de ma farce, rien que des herbes avec un peu de lard gras ! ».
J’en arrive à me demander si ses comportements précédents n’étaient pas ceux d’une paysanne – car cet artisan vend les produits de son élevage, d’ailleurs l’abondance en herbes ne proviendrait-elle pas du fait qu’elles sont cultivées à la ferme… - devant le Parigot qu’elle devine en moi. Et c’est les yeux embués par l’émotion et arborant un sourire dont je l’aurais crue incapable qu’elle me tend mon achat – tarifé cette fois-ci au juste prix.
Ce bon farci sera l’apex de notre frugal repas de midi.


farci poitevin
Farci 3*



Pour le repas du soir, ce sont un ostréiculteur et un poissonnier qui m’en fourniront les ingrédients.
En premier lieu, je rachète une dizaine de ces remarquables crevettes impériales qui me semblent encore plus agitées que la fois précédente sur l’étal du vendeur. De la météo sur l’agitation des gambas ?
Puis je retourne auprès des beaux pétoncles noirs que j’ai aperçus lors de mon tour exploratoire du marché. Je m’en procure une douzaine.

Le soir, je gratte les pétoncles pour les débarrasser des petites balanes et crépidules qui se sont fixées sur leurs coquilles et les plonge dans une bassine d’eau salée afin de leur faire dégorger leur sable.


pétoncle noir
Je vous ferai rendre gorge !


Il me faudra sept transvasements successifs avant de ne plus découvrir de restes de sable au fond de la bassine.
Puis je sors la boîte contenant les crevettes impériales, et la chaleur réveille tout ce petit monde. Je me dépêche de recoiffer avant que l’une d’elles fasse un bond et aille se réfugier sous une armoire, comme ce fut le cas la dernière fois.
Je sais qu’il va falloir faire vite et bien enchaîner les figures.

Je commence par aller couper deux branches de mélisse dans la cour.
En en revenant je découvre un phasme en train de s’exposer au soleil couchant sur le mur à côté de la porte d’entrée de la cuisine.


phasme, clonopsis gallica
Un gaulois qui n'a rien d'Obelix


Je ne savais même pas que ce genre de bestioles que jusqu’à présent je n’avais fréquenté que confinées dans des terrariums, en particulier ceux de l’Opie à Guyancourt, pouvaient se rencontrer dans notre bonne région poitevine. Une recherche effectuée plus tard me montrera que ce Clonopsis gallica est discret (enfin, pas toujours…) mais bien présent en Poitou-Charentes.
Mais ça, j’en prendrai connaissance plus tard, car après une rapide séance de shooting, je dois abandonner ma vedette gauloise pour me consacrer à mon plat.
Je retire les feuilles des tiges de mélisse, les mets grossièrement en lambeaux et réserve. Je m’empare d’une cocotte, y verse un trait d’huile d’olive dans laquelle je fais tomber une noix de beurre demi-sel fermier. Je la pose sur un feu vif, et quand le beurre commence à mousser, j’ajoute les pétoncles que j’arrose du demi-verre de sauvignon qui attendait sur un coin de la table. Les coquillages commencent aussitôt à s’ouvrir, je parsème des déchirures de mélisse et me dépêche de vider par-dessus les pétoncles les crevettes impériales. Je coiffe prestement du couvercle. Il était temps, car j’entends durant quelques secondes le bruit du choc des gambas heurtant la fonte dans leurs bonds désespérés, période heureusement très brève, ce qui soulage mon âme compatissante.
Je laisse sur le feu encore quatre minutes, le temps que les pétoncles finissent de s’ouvrir et que les crevettes achèvent leur cuisson dans la vapeur du vin blanc.
Je retire du feu, décoiffe la cocotte. La cuisson me semble réussie.


pétoncles, crevettes ilpéraiales
Bravo, ma cocotte


L’ustensile de cuisson métamorphosé en plat de service va sur la table, puis son contenu petit à petit sur nos assiettes.



crevettes impériales, pétoncles
Premier service


On mangera avec les doigts, s’essuyant avec un vulgaire papier essuyant-tout, alors pourquoi pas nos paluches dégoulinantes. C’est bien bon, le parfum discret de mélisse fonctionne parfaitement avec ces fruits de mer, les pétoncles développent une petite note sucrée fort plaisante et les crevettes impériales sont cuites à point, offrant une chair encore légèrement nacrée.

Pour finir ce festin, Madame avait réalisé des œufs au lait particulièrement réussis, fermes à souhait.


oefs au lait
Dans le bain, Marie


Je lui ai demandé sa recette.
« Un litre de lait, six œufs, cent vingt grammes de sucre, puis au four à 180 °C dans un bain-marie avec l’eau déjà chaude, ça c’est important.
-Et combien de temps ?
-Ben…. Ben j’sais plus ! »
Mais chacun sait que la cuisine ménagère se fait au feeling… En tout cas, le résultat était là.


oeufs au lait
Ils sont laids,les oeufs à l'eau, ils sont beaux, les oeufs au lait