Le ciel s’était assombri, et l’on ne voyait plus l’île de Grolande qui au loin par sa ligne bleue soulignait l’horizon. La houle bienveillante avait fait place à de grosses déferlantes et Yves, à la barre, avait bien du mal à garder le cap pour que le bateau ne prêtât pas le flanc à leurs assauts. La lueur d’un éclair révéla la crête scintillante d’une gigantesque vague. Un assourdissant craquement accompagna le bruit du tonnerre. L’orage était là. Mais le gouvernail lui, ne l’était plus, la barre tournait follement entre les mains du pêcheur désespéré. Deux têtes mal rasées et ébouriffées apparurent, sortant du cadre de l’écoutille.
« Que se passe-t-il, nos cafés sont renversés et…
- Il s’agit bien de cafés ! La barre ne répond plus, l’océan est désormais notre maître tout puissant.
- Ah, mon frère Yves, nous sommes bien mal lotis »
Et tous se mirent à prier.
Je ne décrirai pas l’esquif retourné, nos trois pêcheurs s’accrochant désespérément à quelques débris flottant avant d’être aspirés par les abysses. Ne soyons pas les voyeurs du tragique…
Je me contenterai de confirmer que le naufrage est une rapide vieillesse.
Les corps des trois marins gisaient désormais au fond de l’océan, non loin des côtes de Grolande, faisant le bonheur de quelques dormeurs que leur apparition avait réveillés et qui s’étaient précipités pince en avant vers cette aubaine.
Heureusement, merci Karma !
Les âmes étaient toujours là. Eh bien oui, pour les pêcheurs, il est difficile de savoir où les âmes sont. Mais là, je le sais. Les âmes sont dans des soles…
Comment je le sais ? Tout simplement parce que ces poissons sont allongés sur une plaque dans ma cuisine. Je les ai moi-même pêchés à la ligne Internet. Et maintenant je suis en train de les retourner d’un dernier coup de lame.
Le ciel s’était assombri, une fois de plus. Le jardinier désespéré ne voyait plus la fin de ces pluies perpétuelles. Mais là c’était vraiment un gros orage qui s’annonçait. La foudre frappa le râteau qu’il brandissait sottement. Il n’eut que le temps de murmurer « Maintenant c’est moi qui vais passer au compost » avant de s’écrouler entre une rangée de plants de tomate flétris par le mildiou et un alignement de patates pourrissantes.
Heureusement, merci Karma !
L’âme du jardinier végètait désormais dans une grosse courgette d’un embonpoint qui n’avait rien à envier à celui de son enveloppe charnelle antérieure.
Comment je le sais ? Tout simplement parce que je l’ai cueillie dans mon jardin où elle contemplait tristement la déchéance ambiante des légumes barbotant dans la boue. Et maintenant je suis en train de lui fendre l’âme et la chair.
Je suis triste d’interrompre ces réincarnations trop brèves.
Heureusement, Karma est là.
Quelle palingénésie pourrait être plus merveilleuse que sous la forme d’un alléchant repas ?
Je les ai pécho |
L'une (l'un) des trois après une bonne cuite (au four) |
Un peu de piment dans la vie d'une courgette... |
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