Quand la Vilaine Grosse Pomodora est apparue, un vent de
panique a secoué les hôtes du jardin.
VGP |
D’abord chez les tomates : la Rose de Berne a pâli d’effroi, la Cuor di Bue réclamait qu’on la sorte illico de l’arène, la Noire Russe gémissait « Le goulag est de retour… », la Principe Borghese avait perdu de sa superbe et s’enquérait « Est-ce une révolte ou une révolution ? », la San Marzano affirmait qu’une éruption de l’Etna n’était rien à côté de cette horreur, l’Or Pizzutello se faisait encore plus petite dans l’espoir de passer inaperçue, la Pink Brandywine saoulait ses voisines de ses pleurnicheries, la Southern Night en faisait des cauchemars, la Green Moldovan croyait voir un vampire et réclamait l’appui de la rangée d’ail voisine, la Joyau d’Oaxaca implorait le grand serpent à plume sous le regard navré de la Saint-Pierre qui, après une brève prière, réclamait les clés du jardin.
La peur avait aussi gagné les cucurbitacées qui ne savaient
plus quoi faire. « Ou cours-je ? » Il est vrai que dans ces
légumes il y a toujours un cornichon qui sommeille.
L’on connaît mon grand cœur. J’ai accepté d’accueillir les plus traumatisés parmi ces petits peuples désemparés dans mon humble demeure.
Ces réfugiés ont été encadrés par des oignons bâtons Birnförmige d’origine allemande. Mais n’allez pas croire ce qui n’est pas : ils sont tendres et délicats. D’ailleurs je me surprends parfois, tel un Napoléon tirant l’oreille d’un de ses grognards, à en détacher un lobe afin de le croquer, ce qui va encore plus loin dans le paternalisme hiérarchique. Ces sympathiques Teutons m’ont d’ailleurs tout appris sur leurs origines : leur arbre (mais peut-on parler d’un arbre pour une famille de bulbes ?) remonte au XVe siècle, dans la bonne cité de Schweinfurt descendante du Porcivadum de l’occupation des légions romaines - bien avant celle de l’US Army. Un nom de ville qui prête à rêver…
Tel que sur le catalogue |
Mais passons aux choses sérieuses, je vais tout avouer sur
le sort que j’ai fait à l’un d’eux, même si ce ne sont pas vos oignons.
Il fut tranché en huit par mes soins dans le sens de la longueur, et il est venu fondre non pas en larmes (moi non plus d’ailleurs, même en le coupant) mais dans une cuillerée d’huile d’olive au fond d’une poêle. Quelques individus, les moins vaillants de mes pleutres de potager, vinrent les rejoindre. Suivirent trois gousses d’ail et un échantillon presque représentatif des herbes du jardin.
Il fallait requinquer un peu ces malheureux. Pour ce faire,
j’avais cueilli quelques piments au jardin. Les pieds, semés à partir de graines
venues de la Réunion et maternés dans la serre appartementale où ils ont
profité d’un climat tropical sous un soleil de pacotille, s’y sont heureusement
épanouis après leur émancipation. J’ai donc pu introduire trois piments oiseaux
mini mais costauds et un autre piment contrefait, de bonne taille mais beaucoup moins
virulent dont j’ignore la variété, faute d’étiquette et de recherche archivistique.
Un quart d’heure plus tard, c’était cuit, mais resté al
dente. J’ai arrosé d’un demi-citron vert pressé.
Plus qu'à mettre au frais... |
Il n’était pourtant pas question de déguster aussitôt :
ce mets était prévu pour accompagner froid des merguez grillées.
Après une journée passée au réfrigérateur, j’ai vidé dans un
plat de service en faïence le bac où ma préparation était réservée. J’ai ajouté
un léger trait de vinaigre de Maury, donné un tour de moulin de poivre blanc de
Penja. Enfin j’ai parsemé de quelques déchirures de feuilles de basilic.
Retour de bâton ? |
Pas très courageux, ces légumes…
Mais bien bons quand même. Et c’est tout ce que je leur
demande !
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