Ce jour, je vais me livrer à la bataille de Marengo.
Mais avant consultons les données historiques afin de pratiquer la meilleure stratégie…
En premier lieu, je me tourne vers André Castelot et son ouvrage L’HISTOIRE A TABLE édité par la Librairie Académique Perrin en 1979.
On attribue l’invention [du poulet Marengo] à Dunan, cuisinier de Napoléon, qui, le soir de la bataille de Marengo, aurait rapidement accommodé des morceaux de poulet à l’huile, au lieu de beurre, les Autrichiens ayant intercepté les transports de vivres. Et puis le Consul ayant hâte de se mettre à table et ce sauté de poulet est plus rapide à confectionner qu’une volaille rôtie. D’autres commentateurs veulent y voir un rapport avec Marengo, ville d’Algérie. D’autres encore soutiennent que le veau Marengo existait avant la bataille et se préparait chez un restaurateur de la rue Montmartre disparu aujourd’hui el avait pour enseigne A la grâce de Dieu.
J’ai connu le compère d’Alain Decaux plus prolixe…
Je poursuis donc mes recherches en extrayant des rayons de ma bibliothèque le petit bouquin de référence paru au Livre de Poche en 1974 sous l’égide de l’Académie des Gastronomes et l’Académie culinaire de France et intitulé simplement - mais cette simplicité ne masque-t-elle pas une certaine fatuité ? - CUISINE FRANÇAISE.
Le Veau marengo
Le soir de Marengo, Bonaparte mangea-t-il du veau ou du poulet ? Les avis sont partagés. Alors que Gautron Du Coudray (Recettes morvandelles) se fait le champion du veau, Prosper Montagné (Larousse gastronomique) ne parle que de poulet. Qu’il s’agisse de viande ou de volaille, il reste Marengo, c’est-à-dire le souvenir d’une vieille victoire et… une recette, la même pour les deux cas. Voici ce qu’en disent Curnonsky et G. Derys, dans leurs Gaietés et Curiosités gastronomiques : « Bonaparte ne savait pas attendre. Il mangeait quand il avait faim, avec gloutonnerie. Il y avait toujours un en-cas prêt en chaise de poste. Napoléon était irrégulier dans ses repas, nous dit Brillat-Savarin. Il mangeait vite et mal. Mais là, se retrouvait aussi cette volonté absolue qu’il mettait en tout. Dès que l’appétit se faisait sentir, il fallait qu’il fût satisfait, et son service était monté de manière qu’en tout lieu et à toute heure, on pouvait au premier mot lui présenter de la volaille, des côtelettes et du café. Ce jour-là, il était difficile de satisfaire, comme à l’habitude, ce conquérant impatient. Les voitures de provisions étaient restées en panne. Mais, Dunand, le grenadier-cuisinier, était un homme de ressource qui savait, lui aussi, à sa manière, gagner des batailles. Il aperçoit, au loin, une ferme dont le chaume achevait de se consumer. Qui sait ? On y trouverait peut-être encore quelque poulet ? Il dépêche deux cavaliers qui ramènent trois ou quatre poulets. Le jardin fournit des tomates et de l’ail, et le ruisseau voisin quelques écrevisses ; il n’y avait d’ailleurs pas autre chose… Il restait, dans le fourgon, une fiasque d’huile et du cognac. En un tournemain, les poulets sont plumés, apprêtés. On se sert d’un sabre pour les découper. Les morceaux sont jetés dans l’huile où ils rissolent en plein air, l’ail broyé entre deux pierres — l’ail particulièrement cher aux guerriers et dont les athlètes des jeux Olympiques faisaient une si grande consommation. Un jet de cognac pour relever la sauce, et les poulets sont prêts, garnis des écrevisses. Présenté sur le tambour servant de table à Bonaparte, celui-ci se serait exclamé : « Voilà mon plat de Marengo ! »
Mais la recette de Dunand comportait-elle ou non des écrevisses ? Prosper Montagné voit, dans cette garniture d’écrevisses, l’originalité du plat improvisé, « car, dit-il, le poulet « à la provençale », sauté à l’huile, avec ail et tomates était connu à Paris sous le Directoire. Dunand se rendit bien compte, un peu plus tard, que les écrevisses n’avaient aucune raison de figurer dans cet apprêt : il substitua le vin à l’eau et ajouta des champignons ». « Mais, un jour qu’il avait servi son poulet, ainsi amélioré, Bonaparte se fâcha en lui disant : « Tu as supprimé les écrevisses, cela me portera malheur, je n’en veux pas. » Bon gré, mal gré, il fallut revenir à la garniture d’écrevisses, encore aujourd’hui traditionnelle. » Et le Prince des gastronomes de conclure, avec son compère :
« Depuis, on a perfectionné la recette… Le fin du fin serait de faire apporter le plat par un chef costumé en houzard du Consulat, tout noir de poudre… Mais pour savourer comme il convient un poulet (ou un veau) Marengo, l’essentiel c’est d’avoir l’appétit des vainqueurs de la célèbre bataille piémontaise… Une bonne marche d’une quinzaine de kilomètres à travers la campagne, remplira magnifiquement et hygiéniquement cet office !
J’en sais un peu plus, mais après l’historien et le gourmet, je souhaite, c’est la moindre des choses, avoir le point de vue d’un cuisinier. Et pour ce faire, je n’en choisis pas un des moindres : ce sera Joseph Favre parle biais de son monumental et passionnant DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE CUISINE Paris, Librairie-Imprimerie des Halles et de la Bourse de Commerce 1894.
MARENGO — Nom donné à la préparation culinaire d’un poulet, qui fut improvisée et servie au général Bonaparte après la bataille de Marengo, en 1800.
La bataille avait été très mouvementée et Bonaparte, qui s’avançait à l’improviste, s’était détaché de son état-major et se trouvait à une distance considérable de son fourgon d’approvisionnement. Les jours de grande bataille il ne mangeait qu’après la décision ; mais alors son appétit était impérieux et demandait à être promptement satisfait et ce n’était pas tout rose que de le servir.
Après avoir mis en fuite les Autrichiens, il descendit de cheval et donna l’ordre à Dunand, son cuisinier, de lui servir à dîner. Il se trouvait alors sur une hauteur assez éloignée du village de Marengo. Dunand mit aussitôt sur pied tous les fourriers et ordonnances pour aller à la recherche de quelques provisions. L’un rapporta trois œufs, un autre quatre tomates, un troisième six écrevisses et un quatrième une poulette et pour toute batterie de cuisine une poêle.
Avec tout cela il était impossible de composer un menu, même rudimentaire, pour Bonaparte et les deux officiers qui l’accompagnaient. Mais, à défaut de mieux, Dunand improvisa aussitôt sa cuisine champêtre ; il confectionna d’abord un potage, qui était une panade sans beurre, à l’eau, à l’ail et au sel ; fit nettoyer le poulet, le découpa, et comme il n’avait ni beurre, ni oignons, il assaisonna les morceaux de sel, de poivre, les fit grésiller dans l’huile chaude, avec deux ou trois gousses d’ail ; fit frire également les trois œufs dans l’huile et les retira ; égoutta la graisse et arrosa le poulet avec de l’eau ; il éplucha, égrena et cisela les tomates et les ajouta au poulet ; il châtra les écrevisses, leur fit faire la gymnastique en leur repliant les pattes à la queue et les mit cuire à la vapeur sur le poulet ; aussitôt cuites, les retira, et, comme il n’avait pas de vin pour rehausser la sauce, il ajouta un peu de cognac de la gourde du général, dressa ensuite le poulet dans un plat d’étain, versa la sauce dessus et le garnit des écrevisses et des œufs frits.
Tel a été, dans son origine, le poulet à la Marengo (1).
Le général, qui était de bonne humeur, s’en régala et dit à Dunand « Tu m’en serviras comme ça après chaque bataille. »
Dunand perfectionna ce mets en ajoutant du vin blanc, des champignons et en supprimant les écrevisses, qui ne concordaient pas. Mais un jour qu’il lui servit ce, poulet, Bonaparte devint tout à coup furieux, agita le plateau, frappa sur la table en appelant Dunand. « Tu as supprimé les écrevisses au poulet à la Marengo, dit-il, cela me portera malheur, je n’en veux pas. » Voilà pourquoi on continua, en dépit de la discordance, à mettre des écrevisses autour du poulet à la Marengo.
(1) Ces détails absolument inédits, ont été communiqués par Dunand lui-même, lorsqu’il rentra en Suisse, à mon arrière-cousin A. Bovier, intendant du Valais (ancien département du Simplon), qui accompagna Napoléon lors de son passage à travers le Mont Saint-Bernard. Ce repas champêtre avait tellement impressionné Dunand, que, quelques années plus tard, il ne put résister au désir d’aller voir le lieu où ils avaient implanté leur tente. Que de souvenirs, que de changements ! (J. F.)
Et là, j’ai droit de surcroît à la recette du maître :
Poulet à la Marengo. — Formule 3,170. — Tailler un chapon ou un poulet comme pour sauter ; poivrer, saupoudrer les morceaux du côté des chairs, les mettre dans un sautoir contenant de l’huile chaude et une gousse d’ail, en commençant par mettre les morceaux de carcasse, les cuisses, les ailes et en dernier lieu les filets ; faire prendre couleur et égoutter l’huile ; mouiller avec une demi- bouteille de vin de Sauterne ; ajouter de la purée de tomates très réduite et compléter l’assaisonnement par une gousse d’ail, un peu de sel, une pointe de piment de Cayenne ; mettre un peu d’eau, s’il était nécessaire ; ajouter aussi le jus de deux cent cinquante grammes de champignons de Paris, dont on aura tourné les têtes et séparé les queues et qu’on aura fait cuire, pendant trois minutes avec un peu de beurre, du sel et le jus d’un citron.
Faire cuire le poulet, le dresser sur un plat creux ou dans une timbale d’argent. Mettre les champignons dans la sauce avec un petit verre de vieux vin de Madère ; laisser donner un bouillon et lier la sauce avec un bon morceau de beurre d’Isigny. Saucer sur le poulet, le garnir de trois œufs frits coupés en quartiers et de trois écrevisses bouillies.
Remarque. — Tel était le poulet à la Marengo que l’on faisait chez Chevet, sous l’empire, pendant que j’y étais et que font encore tous les bons cuisiniers. À l’exception des écrevisses, qui doivent être supprimées, la formule est encore la seule et la meilleure que l’on puisse faire. Ce poulet doit être légèrement relevé par l’ail et le piment ; il se distinguera surtout par son bon goût si on n’y ajoute ni glace de viande, ni sauce espagnole.
Cette recette, il faudra bien que j’essaye de la réaliser un jour, mais une collecte des ingrédients sera nécessaire - en ce qui concerne les écrevisses, ce ne sera pas chose facile, et comme contrairement à Favre, j’apprécie les mélanges terre-mer, ou plutôt ici terre-ruisseau, auxquels la cuisine actuelle nous a accoutumés…
Mais aujourd’hui je cuisine dans l’urgence, alors je vais préparer le poulet Marengo à ma façon.
Le volailler m’a découpé (comme un sagouin, car l’ancien patron a pris sa retraite…) un beau poulet du Gers. Je fais revenir les morceaux, dont la carcasse, dans de l’huile d’olive au fond de ma cocotte. Je les extrais temporairement après avoir baissé la flamme au minimum.
Je mets à fondre cinq échalotes ciselées en compagnie de trois gousses d’ail et de deux clous de girofle. Quand l’échalote est translucide et commence à colorer, je remets les morceaux de poulet. Je singe avec deux cuillerées de farine, puis je déglace avec un verre de sauvignon. J’ajoute un bouquet garni de laurier, queues de persil, thym, origan et romarin, un soupçon de zestes de citron, puis une demi-douzaine de tomates que j’ai mondées et plus ou moins épépinées. Une petite cuillerée de concentré de tomate renforcera la couleur. J’assaisonne de sel, poivre blanc et une pincée de piment d’Espelette. Je dispose au-dessus de cette sauce en gestation des champignons de Paris escalopés, je les arrose du jus d’un demi-citron. Je dispose par-dessus les morceaux de carcasse qui seront ainsi faciles à enlever avant de transvaser dans le plat.
Je laisse la cocotte couvercle fermé une cinquantaine de minutes.
Je vire alors les morceaux de carcasse donneurs de goût qui ont terminé leur travail, je retire les morceaux de poulet que je dépose sur le plat que je réserve au four à 70 °C le temps de parfaire la réduction de la sauce.
Je sors le plat du four, recouvre le poulet du contenu de la cocotte.
Avant d’apporter sur la table, je parsème d’une sorte de gremolata sans ail, mélange de persil plat et d’un peu de zeste de citron ciselés.
Victoire de Marengo, 2019 |
Pour accompagner, il y a des pommes de terre du jardin en robe
Que d'eau, que d'eau... |
En robe des champs de bataille, bien sûr, Marengo oblige !
Pour Napoléon, la robe de chambre, ce sera pour plus tard…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire