Le prince n’avait presque pas fermé l'œil de la nuit. Il s’écria :
« Dieu sait ce qu'il y avait dans ce lit. J'étais couché sur quelque chose de si dur que j'en ai des bleus et des noirs sur tout le corps ! C'est terrible ! »
Il arracha draps et couvertures, retourna toute la literie, quand soudain un petit pois roula sur la descente de lit d’Ikean, un brocart de soie brodé de fleurs d’or, pour finir sur le parquet en point de Hongrie entre deux chaussettes trouées.
Le prince se devait de châtier le coupable. Il ordonna que l’on alla quérir l’ensemble des pois du royaume, ce qui fut fait, même si un certain Mendel fit un scandale dans son couvent, refusant de se séparer de ses graines au nom de la science, ce qui fit bien rire la maréchaussée.
Quand toute la récolte fut amassée aux pieds du prince, celui-ci manda la troupe et hurla d’une voix rauque :
« Cassez le pois !
Cassez le pois !
Cassez le pois ! »
On entendit un grognement. C’était l’animal familier du prince, une sémillante jeune truie au cou grassouillet élégamment cerné d’une fraise d’organdi rose. Cette interruption eut le don d’irriter le prince.
« Que l’on se saisisse de la bête. Elle est bonne pour BTC ! »
Puis il fit ébouillanter les coupables, et, hystérique, il sauta sur eux, trépigna, les écrasa sous ses Dr Martens 1460.
Ce n’était pas la première fois que le prince faisait appel à "Balance Ta Cochonne". En remerciement l’association lui fit parvenir un assortiment de cochonnailles.
Comme de plus le prince était avare, il récupéra les pois, y ajouta la charcuterie et convia sa cour à un banquet.
La purée de pois cassés garnie était née.
Mais doit-on croire cette histoire ? Car j’ai entendu il y a peu une autre version.
Marco Polo, revenant de Chine, avait dans ses bagages un petit sachet de graines des plantes produisant les savoureuses petites sphères vertes qu’il venait de découvrir en cette lointaine contrée. Las, quand il défit le lacet fermant la pochette de soie, il aperçut les dégâts causés par le long périple : les pois étaient cassés !
C’est ainsi que Marco Polo fut l’inventeur des pois cassés.
Bon, chacun choisira la version qu’il préfère.
Quant à moi, je serai pragmatique.
Dans une cocotte en fonte j
e recouvre d’eau les pois cassés que j'ai rincés en les sortant de leur emballage, les place sur la plaque coup de feu du fourneau avec un oignon clouté, trois gousses d’ail, un morceau de céleri-branche, une carotte coupée en deux, des tranches d’un blanc de poireau, un bouquet garni, des grains de poivre de Voatsiperifery.
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Lancer de pois |
La cuisson durera une cinquantaine de minutes.
À côté, une petite casserole d’eau chaude afin de compléter si besoin, et une grande casserole dans laquelle cuiront de la poitrine demi-sel et du lard fumé pendant la même durée, puis une saucisse de Morteau durant une demi-heure, enfin une petite saucisse fumée de mon éleveur favori durant vingt minutes. J’immerge en compagnie de toute cette viande une branche de thym, une autre de romarin, du poivre long de Timiz, du poivre blanc de Penja et des baies de genièvre.
Quand les pois cassés sont cuits, j’en extrais la carotte et l’oignon que je réserve, le bouquet garni, l'ail et la branche de céleri qui vont à la poubelle.
Je plonge la girafe équipée de son bras blender et mixe les pois jusqu’à obtenir une purée fine que je trouve un peu trop liquide. J’assaisonne, et deux ou trois minutes à petit bouillon tout en tournant et raclant avec un fouet afin que ça n’attache pas me permettent d’atteindre la texture souhaitée. J’incorpore une grosse noix de beurre et réserve hors du feu.
Je retire la viande, la découpe. Je passe dans le beurre à la poêle trois tranches de poitrine, trois tranches de lard, trois rondelles de Morteau, la petite saucisse fumée partagée en trois. Je sors ces morceaux, les installe dans la cocotte, ajoutant la carotte et deux éclats d’oignon.
J’arrose du jus présent au fond de la poêle et parsème de persil haché.
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Dans la purée de pois |
La cocotte est posée sur la table de la salle à manger avec à ses côtés un plat recouvert du reste de charcuterie pour si jamais un besoin de rab en viande se fait sentir.
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Bon porc |
Mais aucun des trois convives -même pas moi !- n’est un ogre. Il ne me reste plus qu’à inventer un destin pour ce reste….